Passer de l’énergie noire à l’énergie blanche

Méditant-militant

Pour Satish Kumar, fondateur du Schumacher College (GB), la transition implique une mutation intérieure, le passage d’une (vieille) histoire centrée sur la peur, la séparation et la domination à une (nouvelle) histoire fondée sur la confiance, l’unité et l’amour. Autant de clés pour la voie de la personne méditante-militante dont il a débattu avec Michel Maxime Egger en mai 2022.

© Nils Phildius

Quel est l’enjeu de la transition?

Nous sommes confrontés à une crise écologique de plus en plus aiguë et à des problèmes énormes comme les changements climatiques. Cela vaut aussi bien pour le Sud que pour le Nord. Afin d’y répondre de manière profonde et durable, nous devons opérer urgemment une transition de l’énergie «noire» à l’énergie «blanche». L’énergie noire, c’est les combustibles fossiles, le charbon et le pétrole. Elle vient de l’«enfer», des profondeurs de la Terre. Elle est extrêmement polluante et condamnée à s’épuiser. L’énergie «blanche», c’est le soleil, le vent, l’eau. Elle vient du «ciel» et est infinie. Elle est offerte de manière totalement gratuite à tous les êtres vivants. Cette transition est l’impératif majeur de notre temps, pour que les humains puissent vivre en paix entre eux et en harmonie avec le monde naturel. Elle exige une politique radicale pour transformer de manière fondamentale nos systèmes énergétiques. Il y a urgence.

Echanges entre Satish Kumar et Michel Maxime Egger, lors de la journée «Célébrer le vivant» (Château de Bossey, 21 mai 2022), organisée par l'association Les Deux ailes et le Laboratoire de transition intérieure (EPER, Action de Carême).

Quelles sont les implications de la transition en termes de développement?

Jusqu’ici, la voie du «développement» prônée par l’Occident a été celle d’une croissance économique illimitée sur une planète finie. Nous extrayons de l’énergie et de la matière pour notre production et notre consommation, et nous remplissons la terre et les mers de nos déchets. Au point qu’il semble y avoir aujourd’hui plus de plastique que de poissons dans les océans. Un tel modèle économique ne mérite pas le nom de développement. Si les pays du Sud le suivent, quels que soient leurs taux de croissance, le chaos mondial va s’accroître encore davantage et nous ne parviendrons jamais à résoudre les problèmes de la pauvreté, du chômage, des inégalités et de la destruction de la nature. L’enjeu est de transiter d’une économie linéaire à une économie circulaire, respectueuse des lois du vivant. Dans la nature, il n’y a ni déchets ni pollutions: tout est recyclé et réabsorbé.

En quoi le Sud peut-il nous inspirer pour la transition?

La prospérité et le bien-être sont possibles pour tout le monde, au Nord et au Sud, à condition de passer d’une croissance centrée sur l’avoir à une croissance centrée sur l’être. Personnellement, je reste très marqué par le Mahatma Gandhi. Il a prôné une économie ancrée dans l’agriculture paysanne, les arts et l’artisanat. C’est pour moi un modèle de transition, beaucoup plus écologique et durable, car le but est de sauvegarder la pureté de la terre, de l’eau et de l’air. La science, la technologie, l’industrie, les banques et tout le reste sont les cerises sur le gâteau. Le futur de l’humanité ne pourra pas être sain et résilient si l’on focalise sur les cerises et qu’on oublie le gâteau, c’est-à-dire l’importance cruciale de l’intégrité du vivant. La redécouverte des vertus de la sobriété est incontournable.

Ce changement d’accent est au cœur de la «nouvelle histoire» que vous prônez…

La vieille histoire est celle de la peur, de la séparation, de la domination, de la cupidité et du contrôle. Elle nous a fait croire que la nature était en dehors de nous, que nous étions supérieurs aux autres espèces et que nous pouvions en user comme bon nous semble. On en voit aujourd’hui le résultat. La nouvelle histoire est celle de la confiance, de l’unité, du respect, de la non-violence, de la compassion et de l’amour, dont le pouvoir est illimité. Nous sommes uns avec la nature, dans une relation profonde d’égalité et d’interdépendance, et ce que nous lui faisons, c’est à nous-mêmes que nous le faisons. La nature a une valeur intrinsèque, et pas seulement en fonction de son utilité pour nous. Elle n’est pas un moyen, mais une fin en soi. Pas simplement une ressource, mais la source de la vie même. L’économie doit être au service du vivant, et pas le contraire.

On touche là aux dimensions intérieures de la transition…

La transition n’est pas qu’extérieure et matérielle. Elle a une dimension spirituelle clé. L’histoire actuelle est celle du matérialisme, qui repose sur une vision du monde totalement erronée, car la vie et la nature sont à la fois matière et esprit. La transition nous appelle à passer à une vision holistique du monde, où physique et métaphysique, engagement et spiritualité dansent ensemble comme les deux faces de la même médaille. Son fondement est la «trinité», clé dans la tradition hindoue, que constituent la Terre, l’âme et la société. C’est pourquoi j’appelle à une révolution écologique, spirituelle et sociale. Transition extérieure et transition intérieure vont de pair. Marcher pour le climat est bien et nécessaire, mais nous devons être nous-mêmes la protection du climat en marche. Cela commence par un changement en soi. Il s’agit, notamment par la méditation, de passe de l’ego à l’oikos, mot grec qui signifie la maison, c’est-à-dire notre planète Terre.

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