Dominicain, enseignant de méditation «dans l’esprit du zen», Bernard Durel est un homme discret qui transpire l’humilité et qui respire large et profond. Un livre de «conversations à ciel ouvert», remarquablement menées par le journaliste Jean-Claude Noyé, nous dévoile son itinéraire spirituel et la sagesse qu’il en a tirée. Il offre par là-même, en allant à l’essentiel, des ressources inspirantes pour notre propre cheminement. Une parole simple, claire et profonde, qui ouvre le cœur et nourrit l’esprit. Un souffle d’espérance pour, en toute lucidité, traverser le «temps de détresse» actuel et les épreuves personnelles, sortir des impasses en trouvant «le passage pour reprendre la route vers l’avant».
Les entretiens se déploient selon trois axes qui s’entremêlent judicieusement. Un premier est la biographie spirituelle. Bernard Durel évoque son enfance, ses études à l’Ecole des mines, son éveil politique à la faveur de la guerre d’Algérie, sa sensibilité aux inégalités Nord-Sud, ses désillusions face «jeux politiciens vermoulus» ou encore ses doutes sur la contribution bénéfique de la science au progrès humain. Tout cela l’amène à choisir la voie religieuse, en l’occurrence dans l’ordre des dominicains dont il décrit – avec une clairvoyance critique et bienveillante – les lumières et les ombres.
Ce parcours est jalonné de voyages, de séjours à l’étranger (Suède, Inde, Japon) et de rencontres déterminantes comme Mère Teresa à Calcutta et le père Vincent Shigeto Oshida (1922-2003), un «bouddhiste qui a rencontré le Christ». Karlfried Graf Durckheim (1896-1988) et sa «thérapie initiatique», qui consiste notamment à «toucher l’âme à travers le corps», l’ouvrent aux arcanes de l’inconscient et l’aident à guérir de la dépression et du burn out. Le pionnier de l’écosophie Arne Naess lui montre que la crise écologique, «si profonde qu’elle menace l’habitabilité même de la Terre», est «le reflet d’une crise spirituelle de l’Occident, puis, par extension – par contamination –, du monde entier». Il comprend «la valeur intrinsèque de tout le Vivant et la nécessité de le protéger pour lui-même, en tant qu’impératif moral».
Un deuxième axe trace les contours d’une spiritualité qui, sans syncrétisme, se veut à la fois ancrée dans la tradition chrétienne et ouverte aux apports d’autres sagesses. Dans une démarche qui se veut plus intrareligieuse qu’interreligieuse, Bernard Durel fait dialoguer en lui le christianisme et le bouddhisme dont il est un fin connaisseur. Adoptant la position de Raymond Panikkar – «Celui qui n’a qu’une religion est condamné à n’en avoir aucune» – il va jusqu’à affirmer que «seul un bouddhiste peut devenir un bon chrétien, et réciproquement».
Celui qui n’a qu’une religion est condamné à n’en avoir aucune.
D’autres fécondations mutuelles, très présentes dans son pèlerinage intérieur, sont celles de la science et de la foi – dont Teilhard de Chardin est un bel exemple – ainsi que de la mystique et de la psychologie: «À dire vrai, vie spirituelle et vie psychique sont deux dimensions distinctes, mais il n’y a pas non plus entre elles de frontière absolue.» Il s’agit, à l’instar de la «psychosynthèse», de «combiner le développement spirituel avec la guérison psychologique».
Le but de «ces rencontres dans les profondeurs où nos racines sont les mêmes, ni orientales, ni occidentales» (Oshida), est – à travers un dépassement des dualismes – d’«élargir son regard», «dépasser ses conditionnements», acquérir une conscience de l’unité. Cela passe notamment par une expérience de la vacuité. Bernard Durel s’inspire notamment d’auteurs comme le moine cistercien Thomas Merton et les mystiques rhénans, «dont l’enseignement est très proche de celui du Bouddha, en particulier dans sa version zen». Pour Maître Eckhart (1260-1328), la Réalité ultime n’est ni l’être ni le sur-être, mais le «néant absolu». Dieu est insaisissable, un mystère «au-delà de toutes nos représentations, de tous les noms». Sa connaissance «ne relève pas du savoir mais de l’expérience intime». Et Bernard Durel de rappeler ce propos incisif de Maître Eckhart: «Je prie Dieu de me libérer de Dieu», c’est-à-dire de tous les concepts qui l’emprisonnent.
Troisième axe, «la recherche d’un cinquième Évangile». La conscience douloureuse de l’échec spirituel des «vénérables institutions chrétiennes» le pousse à «vivre dans une plus grande intimité» avec le Christ, à le «redécouvrir» sous un angle nouveau, épuré et «plus essentiel». Le but est de permettre à Dieu de «naître en nous», donc de devenir peu à peu soi-même et de s’unifier intérieurement, dans «une inlassable quête de vérité». Un tel chemin ne peut être que personnel et unique. La réponse à un appel de l’au-delà, une marche vers l’inconnu où l’essentiel est chaque jour de «(re)découvrir la manne», c’est-à-dire de s’ouvrir à la grâce qui nous est offerte «pour le jour présent» et qu’il s’agit d’accueillir. «L’important est de faire le pas d’aujourd’hui dans la confiance, et toujours dans la conscience de la fragilité humaine.»
Ce processus de divinisation de l’être est fondamentalement l’action de l’Esprit saint. Notre part, fruit de notre liberté et volonté, est de créer les conditions de cette naissance divine en nous. Un travail de purification et d’ouverture du cœur, qui suppose une pratique transformatrice régulière. En l’occurrence, pour Bernard Durel, la méditation zen qu’il pratique assidûment dès le début des années 1970. Elle lui permet de percevoir «qu’il existe un univers plus paisible, profond, permanent et, pourrait-on dire, plus essentiel, bien au-delà des problèmes, conflits et débats quotidiens». La méditation s’inscrit dans une démarche d’«ouverture à notre être essentiel – bien différent du moi existentiel ou social –, auquel nous devons faire toujours plus de place si nous voulons exister en plénitude». Il s’agit de se rendre poreux au «souffle nu de Dieu» (Oshida).
Allier la transformation personnelle et la transformation sociétale, il y a là un défi stimulant. Ou, plutôt, une vraie nécessité.
Quatrième axe, l’engagement pour l’amour du vivant. Bernard Durel ne cesse de souligner les liens entre mystique et politique. D’où son admiration pour la vie et les enseignements d’hommes et de femmes qui ont été d’«authentiques témoins de la Parole vivante, de la Parole faite chair, et cela à différentes époques et en différents lieux». Gandhi, bien sûr, mais aussi le pasteur luthérien Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) qui a payé de sa vie son opposition au régime nazi et affirmait: «L’Église n’est réellement Église que quand elle existe pour ceux qui n’en font pas partie.» On peut encore mentionner – moins connu – le prix Nobel de la paix Dag Hammarskjöld (1905-1961) qui fut secrétaire général des Nations unies dans les années 1950. Dans cette perspective, Bernard Durel souligne la pertinence et la fécondité du concept de «personne méditante-militante»: «Allier la transformation personnelle et la transformation sociétale, il y a là un défi stimulant. Ou, plutôt, une vraie nécessité. Car, en réalité, pour être un bon militant, il faut être aussi un bon méditant, ou priant, comme vous voulez.»
Toute cette riche expérience, ces éléments de sagesse glanés au fil des décennies sur un chemin de vie parfois tortueux, nourrissent les enseignements de Bernard Durel. Il essaie d’en témoigner et de les transmettre à travers les sessions qu’il anime. Non pas avec «une âme de missionnaire» ou en cherchant à convaincre, mais – dans le refus de toute «gouroutisation» – avec le seul désir de «rendre service en aidant celles et ceux qui le sollicitent à avancer sur leur propre chemin».
Bernard Durel, Conversation avec Jean-Claude Noyé, Vers la source intérieure, Desclée de Brouwer, 2024, 145 p.
A l’heure où l’on commémore les deux ans de la mort tragique de Mahsa Amini en Iran, il est temps de (re)lire le roman graphique Femme, Vie, Liberté (Editions L’Iconoclaste, 2023). Un ensemble remarquable de textes et de bandes dessinées, qui – avec humour, engagement critique et recul historique – permet de comprendre les tenants et aboutissants du premier mouvement féministe d’envergure en Iran et dans le monde musulman, mené au premier chef par les femmes et suivi par des jeunes et aussi des hommes. Une ode à la libération.
A l’occasion du 80ᵉ anniversaire de l’ouverture du camp d’Auschwitz-Birkenau en janvier 1945, une BD adapte une série de reportages réalisés en 1995 et couronnés par le prix Albert Londres. L’album traduit avec force, finesse et profondeur les témoignages recueillis par la journaliste du Monde Annick Cojean. Une œuvre puissante et nécessaire qui nous dit l’importance capitale du travail de mémoire et de transmission. L’inquiétant et pitoyable spectacle du monde actuel nous rappelle au devoir de vigilance. Il est plus que jamais nécessaire de se souvenir que la barbarie fait partie de l’humanité et peut – comme aujourd’hui – se manifester à tout moment.
À l’heure du look hyperréaliste publicitaire, du naturalisme télévisuel, fade et sans surprise, le chef opérateur Henri Alekan (1909-2001) fait figure de rescapé. Le dernier Mohican d’une époque révolue du cinéma, artisanale, où la beauté du réel était inséparable de la poésie de l’imaginaire. Il a consigné en 1984 sa vaste expérience et ses réflexions dans un livre somptueux, Des lumières et des ombres, qui vient d’être réédité aux éditions du Collectionneur.
«Le Virgile de l’initiation à l’écologie chrétienne.» C’est ainsi que l’écrivain Falk van Gaver définit Jean Bastaire. A l’occasion des dix ans de sa naissance au ciel, un livre lui rend hommage et expose les points clés de sa pensée, de son espérance et de son engagement. Une contribution bienvenue pour promouvoir une figure majeure et insuffisamment (re)connue, qui appelait à une «insurrection pascale» des consciences au service du Vivant.
«Pour qui prête l’oreille, laisse traîner son regard, affûte sa propre sensibilité envers ces êtres du vivant qui agissent, parlent, imaginent et font imaginer», de nouvelles voix et de nouvelles manières d’évoquer les écosystèmes surgissent en Occident.» Plus particulièrement en Suisse romande, «terreau plutôt favorable aux motifs écospirituels». C’est ce que montre Alexandre Grandjean, chercheur à l’Institut de sciences sociales des religions de l’Université de Lausanne, dans un petit livre passionnant: Arborescence – Les voix de l’écologie spirituelle (Hélice Hélas, 2022).
Dominicain, enseignant de méditation «dans l’esprit du zen», Bernard Durel est un homme discret qui transpire l’humilité et qui respire large et profond. Un livre de «conversations à ciel ouvert», remarquablement menées par le journaliste Jean-Claude Noyé, nous dévoile son itinéraire spirituel et la sagesse qu’il en a tirée. Il offre par là-même, en allant à l’essentiel, des ressources inspirantes pour notre propre cheminement. Une parole simple, claire et profonde, qui ouvre le cœur et nourrit l’esprit. Un souffle d’espérance pour, en toute lucidité, traverser le «temps de détresse» actuel et les épreuves personnelles, sortir des impasses en trouvant «le passage pour reprendre la route vers l’avant».
Dans Le Visage écrit apparaît le danseur et chorégraphe Kazuo Ohno (1906-2010) dans une performance au carrefour de l’expressionnisme et du butō, dont il est l’un des maîtres et précurseurs. Totalement fasciné par sa présence irradiante et sa gestuelle magique, Daniel Schmid capte la grâce de cet homme travesti qui semble flotter sur l’eau dans le bleu crépusculaire du port de Tokyo. Il a fait de cette séquence le cœur d’un court métrage (1995).
Double salut nazi d’Elon Musk à l’investiture de Donald Trump, montée de l’antisémitisme et du racisme, succès des idéologies nationales-populistes, floraison des régimes autoritaires… A l’heure où l’on commémore le cinquantième anniversaire de la libération des camps de concentration, il est plus urgent que jamais de nous souvenir et d’être vigilant. Revoir un film comme_ Nuit et brouillard_ (1956) d’Alain Resnais peut nous y aider. Pour reprendre les mots de l’écrivain survivant Jean Cayrol, il reste plus que jamais un «appel, un dispositif d’alerte contre toutes les nuit et brouillards» qui n’en finissent pas de «tomber sur une terre qui naquit pourtant dans le soleil, et pour la paix» [1]. Il dénonce l’effroyable accoutumance à l’oubli et la banalisation du mal qui en découle. Un cri on ne peut plus d’actualité.
«Le chaman traverse les mondes, il est le pont, il va discuter de l’autre côté du rideau de l’invisible», déclarait l’écrivaine Anne Sibran à propos de son envoûtant ouvrage, né de son vécu avec les peuples amazoniens: Enfance d’un chaman (Gallimard, 2017). On pourrait dire la même chose du peintre Paul Cézanne qu’elle met en scène dans Le premier rêve du monde (Gallimard, 2022). Transfigurée par une écriture poétique finement ciselée, une quête initiatique de la beauté de la Terre où nous vivons, d’un «inespéré» surgissant de «l’éternel présent», «au-delà du temps des hommes et de ce qu’ils voient».
A l’heure où l’écoféminisme gagne en puissance comme éventail de réponses fécondes aux souffrances de la Terre, la revue en ligne Esprit de Nature a choisi de consacrer son troisième numéro au triptyque «Femmes, Nature et Sacré». Une riche et inspirante exploration de dimensions essentielles pour la métamorphose à opérer.
Quelle est la place des animaux dans les diverses cultures de l’humanité et quelles sont leurs relations à l’être humain et au divin? C’est à ces questions qu’est consacrée la nouvelle édition du Calendrier des religions (éditions Agora). Couvrant la période de septembre 2022 à décembre 2023, il propose un regard à la fois anthropologique, historique et iconographique qui documente et questionne nos rapports au monde animal. Avec des textes de spécialistes, agrémentés de belles photographies et œuvre d’art.
«La Terre, notre Mère-Nature, est au bord du gouffre», déclare Carolyn Carlson, immense figure de la danse contemporaine. En partant de ce naufrage, elle nous offre avec The Tree un puissant et envoûtant poème dansé, visuel et musical, sur les liens brisés et à restaurer entre l’être humain et le vivant. Entre mélancolie et espérance, un cri d’amour à la nature, magnifié par les toiles à l’encre de Chine du peintre Gao Xingjian.
L’intérêt pour les sorcières et le combat pour leur réhabilitation ne faiblissent pas. Un signe des temps et une manifestation de la «puissance invaincue des femmes» (Mona Chollet), indissociable de leur lien profond avec le vivant célébré par une partie de l’écoféminisme. Pour preuve, le remarquable spectacle musical Sorcière, porté par le duo pop Aliose et mis en scène par Sophie Pasquet Racine. Une œuvre habitée qui à la fois nous touche au cœur, nous enchante et nous fait réfléchir sur hier et aujourd’hui.