Un petit livre clair et roboratif où Jean-Claude Guillebaud explique sa conviction que «le message évangélique garde une valeur fondatrice pour les hommes de ce temps, y compris pour ceux qui ne croient pas en Dieu». A trois conditions cependant: le refus de l’injonction au profit du témoignage vécu et du dialogue, la réinterprétation créative incessante des textes, le renouvellement profond du langage. L’auteur raconte son propre voyage intellectuel et existentiel à travers trois cercles. D’abord, la redécouverte des sources judéo-chrétiennes de la modernité comme les droits humains et une conception du temps source d’espérance. Ensuite, la «subversion évangélique» qui proclame l’innocence des victimes, révèle l’aveuglement mimétique des persécuteurs, appelle à lutter de manière non violente contre la tyrannie, les injustices et les logiques de domination. Enfin, «le saut personnel et subjectif de la foi, qui permet de franchir les abîmes du doute».
Longtemps, le journaliste, éditeur et essayiste Jean-Claude Guillebaud s’est dérobé à la question de savoir s’il était chrétien. Il l’aborde de front dans ce petit livre clair et roboratif, où il tente d’être au plus près de son vécu. On n’y trouve nulle trace d’exaltation ou de sentimentalité religieuse. L’auteur se dit un fils des Lumières. Son terrain n’est pas la mystique ni même la quête spirituelle, mais l’anthropologie. Son approche se veut délibérément rationnelle. Avec d’autant plus de force que gronde en lui une colère devant le dédain et la condescendance que les médias, la gauche politique, les milieux scientifiques et philosophiques réservent souvent aux chrétiens.
L’objectif de l’ouvrage est double. Il s’agit, d’une part, de montrer la pertinence essentielle de la parole biblique en ces temps d’apocalypse et de bifurcation civilisationnelle. Guillebaud est convaincu que «le message évangélique garde une valeur fondatrice pour les hommes de ce temps, y compris pour ceux qui ne croient pas en Dieu». Les chrétiens ont encore quelque chose à dire au monde et sur le monde actuel. Ils sont appelés, comme le disait déjà Albert Camus, à «parler à haute et claire voix», à «sortir de l’abstraction et à se mettre en face de la figure ensanglantée qu’a prise l’histoire aujourd’hui».
Mais ils ne pourront se faire entendre, participer d’une manière féconde aux débats de société qu’à trois conditions. Primo, que leur parole ne procède pas de l’injonction cléricale, morale ou dogmatique, mais du témoignage, du dialogue, de la proposition de sens alternative et authentiquement vécue. Une parole «ouverte à la critique, argumentée avec rigueur et énoncée sans arrogance». Secundo, qu’ils osent une réinterprétation créative incessante des textes, pour retrouver la signification cachée des mots et en faire jaillir les inépuisables trésors de sens. Tertio, qu’ils s’attellent à un renouvellement profond de leur langage pour rendre leur message intelligible : «La réinvention d’une syntaxe permettant de dire le christianisme au monde contemporain et de redonner vie aux mots de la prière exigera plus qu’un toilettage».
D’autre part, l’auteur raconte son voyage intellectuel et existentiel vers la foi chrétienne. Il évoque trois cercles concentriques. Le premier, périphérique, est la redécouverte des sources judéo-chrétiennes de la modernité. Droits humains, démocratie, liberté de conscience, souveraineté de la personne, sens de l’universalité… La plupart des convictions et valeurs qui fondent nos sociétés ne proviennent pas seulement du siècle des Lumières (XVIIIe s.), mais puisent leurs racines dans l’héritage biblique et, plus spécifiquement, évangélique.
Il en va de même de la vision linéaire du temps et du principe d’espérance qui en découle. Si le temps est droit, «l’histoire humaine est enracinée dans une mémoire et orientée vers un projet». Loin d’être prisonniers d’un destin inéluctable et de la loi de l’éternel retour, les êtres humains «sont coresponsables du futur; ils ont en charge l’achèvement et l’amélioration du monde». L’Histoire, en ce sens, ne saurait être abandonnée aux seules forces du marché, du pouvoir et du mal qui consacrent l’écrasement des faibles par les forts, le triomphe des riches sur les pauvres. «La politique, c’est le goût de l’avenir», disait Max Weber. Le problème, affirme l’auteur, c’est que ce goût est en panne. On ne pourra le retrouver, refonder notre espérance et revivifier les valeurs fondatrices démocratiques qu’en rétablissant «le fil qui les relie, de siècle en siècle, à leur matrice originelle», judéo-chrétienne.
Le deuxième cercle, médian, est la «subversion évangélique». Pour l’auteur, proche du philosophe René Girard, l’Évangile a «fendu en deux l’histoire du monde». Cela, en inversant le sens traditionnel et religieux du sacrifice, fondé sur le point de vue aveugle des persécuteurs, unanimement convaincus que les victimes sont effectivement coupables et qu’elles doivent être sacrifiées sur l’autel de la paix sociale. La résurrection de Jésus a causé un scandale et marqué une rupture fondatrice en proclamant l’innocence des victimes, de toutes les victimes accusées par toutes les cultures humaines. Elle a révélé l’imposture et l’aveuglement mimétique des persécuteurs. D’où la puissance prophétique de l’Évangile qui appelle à lutter de manière non violente contre la tyrannie, à refuser les injustices, à chambouler les logiques de domination et à résister au «caractère clairement sacrificiel du néolibéralisme».
Le christianisme est, par essence, non normatif, protestataire et dissident. Tout le contraire de ce que l’Église en a souvent fait, avec ses pesanteurs cléricales, son enfermement dogmatique, son moralisme et ses catéchismes sclérosants, ses compromissions avec les puissants de ce monde. Ces «trahisons», estime Guillebaud, ne sont pas cependant une raison suffisante pour abolir ou déserter l’institution ecclésiale. Certes, la parole vive, celle qui nourrit le feu évangélique, «circule et s’énonce le plus souvent dans les marges de l’Église, quand ce n’est pas en réaction contre elle». Mais en même temps, sans l’Église, le message de la foi n’aurait pas été transmis. «Dissidence et institution sont comme l’avers et le revers d’une même vérité en mouvement». Autant les humains ont besoin de l’Église pour l’apprentissage du croire, autant ils doivent «apprendre à résister à son autorité»: «Un enfant ne conquiert son statut d’adulte qu’en s’émancipant de la famille qui lui a permis de construire son humanité».
Le troisième cercle, central, est celui de la foi proprement dite. Cette foi que l’auteur n’est pas encore sûr intimement d’avoir, même si elle relève pour lui moins d’un effet de la grâce divine (il n’en parle jamais) que d’un libre choix et d’un engagement délibéré. Guillebaud affirme en être là: il se trouve «sur le plongeoir», prêt à effectuer «le saut personnel et subjectif qui permet de franchir les abîmes du doute».
Recension par Michel Maxime Egger, La Chair et le Souffle, Vol. 3, No 1, 2008, p. 91-93.
Jean-Claude Guillebaud, Comment je suis redevenu chrétien Paris, Albin Michel, 2007, 183 p. ; réédité en poche, Seuil, Points Essais, 2015, 193 p.
A l’heure où l’on commémore les deux ans de la mort tragique de Mahsa Amini en Iran, il est temps de (re)lire le roman graphique Femme, Vie, Liberté (Editions L’Iconoclaste, 2023). Un ensemble remarquable de textes et de bandes dessinées, qui – avec humour, engagement critique et recul historique – permet de comprendre les tenants et aboutissants du premier mouvement féministe d’envergure en Iran et dans le monde musulman, mené au premier chef par les femmes et suivi par des jeunes et aussi des hommes. Une ode à la libération.
A l’occasion du 80ᵉ anniversaire de l’ouverture du camp d’Auschwitz-Birkenau en janvier 1945, une BD adapte une série de reportages réalisés en 1995 et couronnés par le prix Albert Londres. L’album traduit avec force, finesse et profondeur les témoignages recueillis par la journaliste du Monde Annick Cojean. Une œuvre puissante et nécessaire qui nous dit l’importance capitale du travail de mémoire et de transmission. L’inquiétant et pitoyable spectacle du monde actuel nous rappelle au devoir de vigilance. Il est plus que jamais nécessaire de se souvenir que la barbarie fait partie de l’humanité et peut – comme aujourd’hui – se manifester à tout moment.
À l’heure du look hyperréaliste publicitaire, du naturalisme télévisuel, fade et sans surprise, le chef opérateur Henri Alekan (1909-2001) fait figure de rescapé. Le dernier Mohican d’une époque révolue du cinéma, artisanale, où la beauté du réel était inséparable de la poésie de l’imaginaire. Il a consigné en 1984 sa vaste expérience et ses réflexions dans un livre somptueux, Des lumières et des ombres, qui vient d’être réédité aux éditions du Collectionneur.
«Le Virgile de l’initiation à l’écologie chrétienne.» C’est ainsi que l’écrivain Falk van Gaver définit Jean Bastaire. A l’occasion des dix ans de sa naissance au ciel, un livre lui rend hommage et expose les points clés de sa pensée, de son espérance et de son engagement. Une contribution bienvenue pour promouvoir une figure majeure et insuffisamment (re)connue, qui appelait à une «insurrection pascale» des consciences au service du Vivant.
«Pour qui prête l’oreille, laisse traîner son regard, affûte sa propre sensibilité envers ces êtres du vivant qui agissent, parlent, imaginent et font imaginer», de nouvelles voix et de nouvelles manières d’évoquer les écosystèmes surgissent en Occident.» Plus particulièrement en Suisse romande, «terreau plutôt favorable aux motifs écospirituels». C’est ce que montre Alexandre Grandjean, chercheur à l’Institut de sciences sociales des religions de l’Université de Lausanne, dans un petit livre passionnant: Arborescence – Les voix de l’écologie spirituelle (Hélice Hélas, 2022).
Dominicain, enseignant de méditation «dans l’esprit du zen», Bernard Durel est un homme discret qui transpire l’humilité et qui respire large et profond. Un livre de «conversations à ciel ouvert», remarquablement menées par le journaliste Jean-Claude Noyé, nous dévoile son itinéraire spirituel et la sagesse qu’il en a tirée. Il offre par là-même, en allant à l’essentiel, des ressources inspirantes pour notre propre cheminement. Une parole simple, claire et profonde, qui ouvre le cœur et nourrit l’esprit. Un souffle d’espérance pour, en toute lucidité, traverser le «temps de détresse» actuel et les épreuves personnelles, sortir des impasses en trouvant «le passage pour reprendre la route vers l’avant».
Un petit livre clair et roboratif où Jean-Claude Guillebaud explique sa conviction que «le message évangélique garde une valeur fondatrice pour les hommes de ce temps, y compris pour ceux qui ne croient pas en Dieu». A trois conditions cependant: le refus de l’injonction au profit du témoignage vécu et du dialogue, la réinterprétation créative incessante des textes, le renouvellement profond du langage. L’auteur raconte son propre voyage intellectuel et existentiel à travers trois cercles. D’abord, la redécouverte des sources judéo-chrétiennes de la modernité comme les droits humains et une conception du temps source d’espérance. Ensuite, la «subversion évangélique» qui proclame l’innocence des victimes, révèle l’aveuglement mimétique des persécuteurs, appelle à lutter de manière non violente contre la tyrannie, les injustices et les logiques de domination. Enfin, «le saut personnel et subjectif de la foi, qui permet de franchir les abîmes du doute».
Dans Le Visage écrit apparaît le danseur et chorégraphe Kazuo Ohno (1906-2010) dans une performance au carrefour de l’expressionnisme et du butō, dont il est l’un des maîtres et précurseurs. Totalement fasciné par sa présence irradiante et sa gestuelle magique, Daniel Schmid capte la grâce de cet homme travesti qui semble flotter sur l’eau dans le bleu crépusculaire du port de Tokyo. Il a fait de cette séquence le cœur d’un court métrage (1995).
Double salut nazi d’Elon Musk à l’investiture de Donald Trump, montée de l’antisémitisme et du racisme, succès des idéologies nationales-populistes, floraison des régimes autoritaires… A l’heure où l’on commémore le cinquantième anniversaire de la libération des camps de concentration, il est plus urgent que jamais de nous souvenir et d’être vigilant. Revoir un film comme_ Nuit et brouillard_ (1956) d’Alain Resnais peut nous y aider. Pour reprendre les mots de l’écrivain survivant Jean Cayrol, il reste plus que jamais un «appel, un dispositif d’alerte contre toutes les nuit et brouillards» qui n’en finissent pas de «tomber sur une terre qui naquit pourtant dans le soleil, et pour la paix» [1]. Il dénonce l’effroyable accoutumance à l’oubli et la banalisation du mal qui en découle. Un cri on ne peut plus d’actualité.
«Le chaman traverse les mondes, il est le pont, il va discuter de l’autre côté du rideau de l’invisible», déclarait l’écrivaine Anne Sibran à propos de son envoûtant ouvrage, né de son vécu avec les peuples amazoniens: Enfance d’un chaman (Gallimard, 2017). On pourrait dire la même chose du peintre Paul Cézanne qu’elle met en scène dans Le premier rêve du monde (Gallimard, 2022). Transfigurée par une écriture poétique finement ciselée, une quête initiatique de la beauté de la Terre où nous vivons, d’un «inespéré» surgissant de «l’éternel présent», «au-delà du temps des hommes et de ce qu’ils voient».
A l’heure où l’écoféminisme gagne en puissance comme éventail de réponses fécondes aux souffrances de la Terre, la revue en ligne Esprit de Nature a choisi de consacrer son troisième numéro au triptyque «Femmes, Nature et Sacré». Une riche et inspirante exploration de dimensions essentielles pour la métamorphose à opérer.
Quelle est la place des animaux dans les diverses cultures de l’humanité et quelles sont leurs relations à l’être humain et au divin? C’est à ces questions qu’est consacrée la nouvelle édition du Calendrier des religions (éditions Agora). Couvrant la période de septembre 2022 à décembre 2023, il propose un regard à la fois anthropologique, historique et iconographique qui documente et questionne nos rapports au monde animal. Avec des textes de spécialistes, agrémentés de belles photographies et œuvre d’art.
«La Terre, notre Mère-Nature, est au bord du gouffre», déclare Carolyn Carlson, immense figure de la danse contemporaine. En partant de ce naufrage, elle nous offre avec The Tree un puissant et envoûtant poème dansé, visuel et musical, sur les liens brisés et à restaurer entre l’être humain et le vivant. Entre mélancolie et espérance, un cri d’amour à la nature, magnifié par les toiles à l’encre de Chine du peintre Gao Xingjian.
L’intérêt pour les sorcières et le combat pour leur réhabilitation ne faiblissent pas. Un signe des temps et une manifestation de la «puissance invaincue des femmes» (Mona Chollet), indissociable de leur lien profond avec le vivant célébré par une partie de l’écoféminisme. Pour preuve, le remarquable spectacle musical Sorcière, porté par le duo pop Aliose et mis en scène par Sophie Pasquet Racine. Une œuvre habitée qui à la fois nous touche au cœur, nous enchante et nous fait réfléchir sur hier et aujourd’hui.