L'espérance en mouvement

Ouvrages Collectifs

«Comment faire face au triste état de notre monde sans devenir fous?» Joanna Macy et Chris Johnstone présentent des pistes pour répondre à cette question, notamment en montrant les tenants et aboutissants du Travail qui relie, puissante méthodologie de transformation personnelle et collective pour devenir acteur et actrice de la transition écologique.

Pour Joanna Macy et Chris Johnstone, figures emblématiques de l’écopsychologie, l’humanité se trouve à un moment carrefour où elle doit faire le choix entre trois manières de donner du sens à l’évolution du monde : le business as usual, la grande désintégration et le changement de cap. Cette dernière «histoire» est la «grande transition» d’une société qui détruit la vie vers une société qui la soutient, à travers des relations plus harmonieuses avec tous les êtres – humains et autres qu’humains.

Synthèse de plus de trente ans de praxis écocitoyenne, préfacé par Michel Maxime Egger, leur livre présente avec profondeur les tenants et aboutissants de ce changement de paradigme, «aventure essentielle» de notre temps. Il éclaire les fondements du Travail qui relie, un ensemble d’exercices qui invitent à explorer notre lien avec le vivant à travers une spirale en quatre étapes: s’enraciner dans la gratitude, honorer notre souffrance pour le monde, porter un nouveau regard et aller de l’avant.

Militante écologiste américaine, Joanna Macy est docteure en théorie des systèmes et initiée au bouddhisme. Médecin et coach britannique, Chris Johnstone est spécialisé dans l’addictologie et les dimensions psychologiques de la crise planétaire.

Un livre essentiel

Chez Labor et Fides, vous codirigez la collection Fondations écologiques, pourquoi avoir choisi de traduire le livre de Joanna Macy et Chris Johnstone?

Michel Maxime Egger: La collection propose des ouvrages qui cherchent à dégager les concepts, les valeurs et les moyens pour (re)fonder une civilisation respectueuse des limites écologiques en répondant aux aspirations humaines. La démarche de Joanna Macy s’inscrit complètement dans ce projet. Elle est l’une des figures d'inspiration majeures de l’écopsychologie, courant transdisciplinaire encore peu connu dans le monde francophone. Son ouvrage offre les tenants et aboutissants du «Travail qui relie», méthodologie puissante de transformation personnelle et collective à travers la reliance à la Terre, à soi-même, aux autres et au mystère sacré du Vivant.

Le livre s’intitule L’Espérance en mouvement, pourtant l’évolution du monde conduit plutôt au désespoir. Comment peut-on encore espérer ?

Autant la lucidité est nécessaire pour sortir du déni de réalité, autant l’espérance est essentielle pour que la lucidité ne devienne pas accablante. L’espérance n’est pas à confondre avec l’optimisme. Car là où l’optimiste dit: «Cela va s’arranger», l’espérant affirme : «Je peux, à mon niveau et avec les autres, agir pour que les choses changent.» Contrairement à l’espoir, l’espérance ne dépend pas de l’extérieur. Elle jaillit du cœur profond, telle une aspiration à accomplir le non-encore accompli de l’être et de l’histoire. Elle émerge et grandit – comme une grâce – quand on se connecte à la Source de notre être et, comme le dit Macy, qu’on suit «le cap intérieur de la joie profonde» en œuvrant à partir du désir qui nous anime.

Deux moteurs sont habituellement évoqués pour susciter un changement de comportement, la peur et la gratitude. Ce livre insiste surtout sur la gratitude, est-ce suffisant?

«Rendez grâce en toutes choses», disait l’apôtre Paul. Il s’agit de s’émerveiller du miracle permanent de la vie et de ce qui nous est offert à chaque instant. S’enraciner dans la gratitude est le premier moment de la spirale du «Travail qui relie». Pour acquérir toute sa fécondité, elle doit être complétée par les trois autres moments: honorer sa souffrance pour le monde, changer de vision, aller de l’avant à partir de ce qui est vivant au fond de nous. La peur, mais aussi la tristesse, la colère ou l’impuissance ont leur place. L’enjeu est de ne pas refouler ces sentiments désagréables, mais de les accueillir sans jugement, les nommer et les partager. Non pour s’y enfermer, mais pour en «composter» l’énergie.

En 2015, vous avez déjà écrit une série dans Réforme sur l’écospiritualité, voyez-vous les choses évoluer dans le bon sens?

Au plan global, structurel et politique, les tendances et l’inertie du système sont telles que la marche vers des effondrements me semble inéluctable. En même temps, une mutation de conscience est en cours. Elle se manifeste dans les innombrables initiatives de transition pour un autre monde. Elle s’exprime également dans l’écospiritualité qui connaît une vogue, stimulée en partie par l’encyclique Laudato si’. J’observe une double dynamique où convergent quêtes spirituelles et aspiration à des relations plus harmonieuses avec la nature: un verdissement des religions et une spiritualisation de l’écologie. Un nombre croissant d’individus et de communautés découvrent que la spiritualité peut être un «carburant» pour la transition écologique et cette dernière un carburant pour un renouveau de la spiritualité.

Propos recueillis par Antoine Nouis, Réforme, 13 septembre 2018.

Présentation synthétique des quatre étapes de la spirale du «Travail qui relie».

Echos médiatiques

Antoine Nouis, Réforme: Ecologie et spiritualité, un lien nécessaire

Quiconque a le courage de la lucidité et de la curiosité scientifique est obligé de reconnaître que nous sommes sur une pente qui a de grandes chances de conduire à un effondrement de notre civilisation. Ce constat nécessite plus que des aménagements à la marge, il doit nous conduire à un changement de conscience. Comme le dit le préfacier Michel Maxime Egger: «Il ne s’agit plus seulement de protéger le milieu naturel, mais de transformer le paradigme culturel, psychologique et spirituel qui sous-tend le système productiviste et consumériste qui détruit la planète.» Ceux qui réfléchissent aux modalités de cette transformation travaillent sur l’écopsychologie qui est le lien de notre être à la terre considérée comme une entité fragile et vivante, et sur l’écospiritualité qui nous ouvre aux souffrances de la nature et au mystère de l’invisible.

Joanna Macy est une des figures de cette révolution nécessaire. Elle a élaboré ce qu’elle a appelé le «Travail qui relie» qui est une méthodologie de transformation personnelle et collective. Les ateliers qu’elle anime se déploient en quatre temps: s’enraciner dans la gratitude, honorer la souffrance du monde, changer de vision, et aller de l’avant.
La démarche présentée dans le livre est à la fois spirituelle et pragmatique, et les analogies avec la théologie sont nombreuses. Nous en avons relevé cinq.

  • La lucidité. Le commencement de la démarche spirituelle consiste à voir les choses telles qu’elles sont et non telles que nous les voulons. «La vérité vous rendra libre», dit l’Évangile, nous avons le devoir d’ouvrir les yeux devant les souffrances de notre monde.
  • La gratitude. La lucidité conduit à la prise de conscience, mais aussi à la gratitude devant les merveilles du vivant. Si nous avons une théologie de la grâce, la spiritualité s’enracine dans l’action de grâce.
  • L’espérance. Elle est la vertu spirituelle qui est à l’origine de toutes les transformations humaines. Le livre fait l’analogie avec le combat pour l’abolition de l’esclavage. À la fin du XVIIIe siècle, il apparaissait comme une utopie tant il remettait en question les logiques économiques; de nos jours l’esclavage est considéré comme un crime contre l’humanité.
  • Le changement de vision. Dans la Bible, cela s’appelle le changement de comportement ou la conversion. Il est au commencement de la démarche spirituelle et associe la lucidité et l’adaptation de notre comportement à notre compréhension du monde et à notre foi.

Une dernière analogie avec la foi se situe dans l’intelligence collective. C’est cette idée que personne n’a la vérité à lui tout seul et que c’est avec les autres que nous pouvons opérer les changements nécessaires pour que la Terre demeure vivable pour nos enfants.
Le livre ne cache rien des menaces qui pèsent sur notre monde, mais il est traversé par le souffle de l’espérance évoquée dans le titre. (13 septembre 2018).

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