Patrick Fischmann et Aurély Fronty:
«Loup noir, loup blanc»

Écrivain, poète et conteur, Patrick Fischmann œuvre depuis des lustres à transmettre les sagesses ancestrales du monde entier et à libérer le souffle de l’Esprit nécessaire à l’accomplissement de la grande transition. Avec Loup blanc, Loup noir (Rue du monde), magnifiquement mis en images par Aurélia Fronty, il nous offre une méditation sur les lumières et les ombres qui cohabitent dans le cœur humain, d’après une légende cherokee. Avec cette question: entre le loup blanc (amour et bienveillance) et le loup noir (haine et violence), lequel est le plus fort? Réponse: le loup qui l’emportera est celui que nous choisissons de nourrir…

Sous un ciel étoilé, un vieux sage indien initie son petit-fils Chien d’eau aux mystères de la voie lactée. De retour chez eux, ils découvrent leur campement dévasté par une horde de cavaliers. La tribu, heureusement, a pu se mettre à l’abri. Mais une forme d’exode loin des terres ancestrales est inéluctable, et tout va devoir être reconstruit.

La Terre, trésor sacré

Chien d’eau, qui a récupéré un bol épargné par le saccage, s’interroge sur les raisons de cette destruction. Il ne trouve pas de réponse. Le grand-père, qui a allumé un feu, lui explique qu’en chaque être humain cohabitent deux faces symbolisées par deux loups. Un loup ténébreux fermé à l’amour, arrogant, égocentré, violent, en guerre contre les autres, le monde et finalement lui-même, car il «voit des ennemis partout». Un loup lumineux et bienveillant, capable d’amour, de joie et gratitude, qui «respire avec les fleurs» et ne combat pas, car «il sait que toute chose est son parent, même le loup noir».

Le vieux sage rappelle à l’enfant que non seulement les humains, mais «les pierres, le sable et les rochers» sont des ancêtres à honorer. Il importe de remercier et célébrer tous les éléments, le soleil et la pluie, les animaux, les abeilles et les libellules, les rivières et les arbres pour tout ce qu’ils nous apprennent et nous donnent pour vivre. Cette Terre et toute la vie qui l’anime sont un «trésor sacré», qui «souffrent sous les crocs du loup noir».

A la question de savoir lequel des deux loups est le plus fort, le grand père répond : «Le loup qui gagne est celui que tu nourris.»

Réensemencement spirituel

L’histoire, simple et profonde, est magnifiée par les images évocatrices et riches de sens d’Aurélia Fronty. Plus que de simples illustrations, des dessins poétiques et des motifs symboliques inspirés des arts populaires, avec ici des résonances amérindiennes, égyptiennes, indiennes et pariétales, qui font briller des étoiles entre les mots et dialoguer des mondes.

Si les dévastations écologiques, sociales et politiques en cours sont la manifestation d’une crise de la conscience et de la sensibilité, l’intention de Patrick Fischmann est d’«accompagner le grand changement par l’art du conte» et l’éveil à un «état poétique». Autrement dit, contribuer à un réensemencement multiculturel et spirituel pour nourrir l’engagement au service du vivant. Comme il l’écrit, «la mission des artistes est de faciliter cette transformation salutaire, en faisant fondre l’imaginaire vicié qui se tient derrière la tromperie, en offrant des images qui réveillent et fluidifient, facilitent le mouvement naturel de la vie».

Changer d'imaginaire

Dans cette perspective, «la grande vertu des contes est de franchir naturellement le voile des apparences» pour «effleurer l’ineffable» dans «la rencontre entre la Source et le cœur humain». En convoquant et revisitant les traditions de sagesse, il s’agit de créer des métaphores inspirantes pour changer d’imaginaire, «éviter de nous laisser désaccorder et déshumaniser par l’adversité», répondre de manière créative – autrement que par la peur, la servitude volontaire, la fuite, les mortelles habitudes et le consumérisme – aux défis et périls qui menacent la planète et la survie de l’humanité.

L’enjeu est, en dansant avec l’incertitude (Joanna Macy) au cœur du chaos, de participer à l’émergence et à l’accouchement d’un «à-venir» désirable et réconcilié. «Un autre futur nous regarde, nous devons l’imaginer et l’incarner pour qu’il nous reconnaisse.» Cela, «dans la conscience affutée d’être dans le mouvement de la transformation de la Vie, au côté des galaxies, des dauphins, des forêts qui s’éteignent, des peuples qui luttent et des petits qui naissent». Rien d’autre, finalement, que ce à quoi nous invite Loup noir, Loup blanc.

Patrick Fischmann et Aurély Fronty, Loup noir, loup blanc, Rue du monde, 2025. A partir de 5 ans.

 

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